
Après une Maîtrise en Science Sociale à l’Université de Yonsei, Bong Joon-ho réalise un film indépendant en 16 mm
White man primé au Shin-Young Movie Festival. En 1995, il sort diplômé de la Korean Academy of Film Arts. Son film de fin d’études,
Incoherence, est une comédie satirique sur la société coréenne, qui est sélectionné dans les Festivals de Vancouver et Hong kong.
En 2000, il met en scène son premier film en 35mm Barking Dogs Never Bite,
dont il a élaboré le scénario pendant plusieurs années alors qu’il
était assistant réalisateur. En 2003, il réalise le thriller
Mémories of murder ,
inspiré d’une véritable histoire de meurtres en série. Le film est un
succès commercial et critique.
Mémories of murder
Corée du Sud, 2004
De Bong Joon-Ho
Scénario : Bong Joon-Ho, Kim Kwang-Rim, Shim Seung-Bo
Avec : Sung Kan-Ho, Kim Sang-Kyung, Byun Hee-Bong, Kim Rwe-Ha
Photo : Kim Hyung-Ku
Musique : Taro Iwarisho
Durée : 2h10
Sortie : 23 Juin 2004Milieu des années 80. Dans une petite
ville de province près de Séoul, on découvre à quelques semaines
d'intervalle les corps de deux femmes atrocement mutilées. La police
locale est rapidement dépassée par les événements.
Le cinéma coréen n’a pas fini de nous étonner. Avant la sortie d’Old Boy de Park Chan-Wok, Grand Prix du Jury à Cannes et une semaine après celle de Deux soeurs, vertigineux film d’horreur, s’expose enfin sur nos écrans le magnifique Memories of Murder, chef-d’œuvre multi-primé au Festival du Film Policier de Cognac et peut-être le meilleur polar orchestré depuis Seven
de David Fincher. Il y a décidément quelque chose de magique au pays du
matin calme. Aidée par des subventions mises en place par le
ministre-réalisateur de la Culture, Lee Chang-Dong (Oasis),
une jeune génération de cinéastes revisite avec bonheur tous les genres
du septième art pour en écrire les pages les plus contemporaines. Sur
le papier, rien ne semble différencier Memories of Murder du
thriller lambda. Des femmes sont mystérieusement assassinées à la
campagne et des flics aux méthodes diamétralement opposées enquêtent
sur le terrain au gré des indices relevés. Dès l'ouverture joyeusement
bordélique autour d’une scène de crime impossible à faire respecter, on
devine toutefois que l’on n’assistera pas à une énième traque de
serial-killer, personnages monolithiques et discours binaire à la clé.
Inspiré de faits réels qui ont secoué la Corée du Sud dans les années
80, Memories of Murder est avant tout un film d’époque, une comédie noire de pays sous-développé comme le définit lui-même le metteur en scène.
Alors que la Corée est secouée par une frénésie paranoïaque -
succession de couvre-feu et répression sanglante des grèves étudiantes
-, trois hommes partent à la recherche du mystérieux criminel: le
détective Park Doo-Man, agent bourru et sûr de lui qui pense pouvoir
identifier un voyou en le dévisageant, son acolyte le sergent Koo
Hee-Bong, spécialiste de l'aveu spontané à grands coups de taloches
dans le visage des prévenus, et enfin le beau et ténébreux détective
Seo Tae-Yoon. Venu de Séoul, ce dernier ne croit qu’en une approche
scientifique de l’affaire et ne jure que par les méthodes américaines.
Inexpérimentés face à une telle série de meurtres et peu enclins à
s’entraider, ils se lancent à corps perdus dans la moindre piste et
cèdent même aux charmes de la voyance… Bong Joon-Ho, dont c’est le
second long métrage après une comédie inédite en France, adopte un
point de vue réaliste. Il met en scène le quotidien d’enquêteurs sans
moyen, dépassés par les événements et plus soucieux de leur plan de
carrière que de la résolution de l'énigme, du moins dans un premier
temps. Fabrication de fausses preuves, passages à tabac, arrestation
arbitraire de l’idiot du village à qui les deux premiers soufflent les
questions et les réponses pour briller devant l’opinion publique, Memories of Murder
pourrait être un conte sordide si sa noirceur n’était contre-balancée
par une ironie constante, un second degré salutaire qui prend en compte
l’intelligence du spectateur, sa connaissance des codes du genre.
Sans
abandonner l’intrigue en elle-même, Bong Joon-Ho dresse le portrait de
personnages profondément humains, faillibles et attachants. D’abord
décrit comme un loser patenté, Park Doo-Man (génial Song Kan-Ho, héros
de Joint Security Area et Sympathy for Mr Vengeance
de Park Chan-Wok) parvient malgré ses nombreuses erreurs, à nous
attendrir. Cet ours à l’ego surdimensionné qui parade comme un coq lors
de la capture d’un nouveau suspect cache une véritable sensibilité, une
affection réelle pour son compagnon de route, Koo Hee-Bong, et finit
pour l’amour d’une infirmière par abandonner son poste de policier.
Plus professionnel dans son approche du métier, Seo Tae-yoon (Kim
Sang-Kyung déjà vu dans Turning Gate
de Hong Sang-Soo) se laisse lui aussi peu à peu gagner par le doute. La
mise en scène est virtuose. Bong Joon-Ho limite les effets visuels pour
en renforcer la puissance. Le moindre ralenti a un sens, comique ou
dramatique, et parvient à susciter l’effroi dans des scènes nocturnes
noyées sous la pluie. Tapi dans l’ombre, jamais à visage découvert,
l’assassin rôde dans les hautes herbes, guette sa future proie au
sommet d’une colline, tel un prédateur insaisissable dont le sang froid
s’oppose à la confusion des policiers. Tout devient alors suspect: un
visage impassible, le bredouillement d’un débile léger devant une
photo, une absence d’alibi, une dédicace radio… En 2006, il se lance dans le film
d'horreur en co-écrivant et réalisant
The Host.
The Host
Gwoemul
Corée du sud, 2006
De Bong Joon-ho
Scénario : Bong Joon-ho, Baek Chul-hyun, Ha Won-jun
Avec Song Kang-ho, Byeon Hie-bong, Park Hae-il, Bae Du-na, Ko Ah-sung, David Joseph Anselmo, Spencer Kay Jim, Paul Lazar
Photo : Kim Hyung-ku
Musique : Lee Byung-woo
Durée : 1h59
Sortie : 22 Novembre 2006
A Séoul, un monstre géant surgit des
profondeurs de la rivière Han. Une fillette est enlevée. La famille
Park part en croisade contre le monstre pour retrouver Hyun-seo...
Après le magnifique Mémories of murder,
Bong Joon-Ho remettait en jeu son titre officieux de roi du cinéma de
genre coréen avec, cette fois-ci, un authentique film de monstre.
Présenté au Festival de Cannes 2006 à la Quinzaine des réalisateurs, The Host
méritait bien une place dans la grande sélection, de par son humour
ravageur et l’efficacité de sa mise en scène.
Qu’importe, il a battu tous les records de fréquentation au pays du
matin calme, devançant ainsi les blockbusters américains dont il
reprend et améliore les formules. Depuis Alien, le huitième passager de Ridley Scott, le cinéma
américain s’était en effet approprié le genre jusqu’à réaliser – ô scandale - un remake du fameux Godzilla
japonais. Peu surprenant donc que Bong Joon-ho remette immédiatement
les choses au point, en désignant un
scientifique américain comme coupable de l’anomalie génétique qui écume
les égouts du fleuve Han. Le film est également truffé de petites
piques
assassines envers les maîtres du monde pollueurs du dimanche et
champions de la désinformation.
Loin de n’être qu’une resucée coréenne d’Alien, The Host
trouve très vite son ton et son originalité. Les héros sont ici de
simples quidams, une famille de losers généreux avec un grand-père
énergique, un paternel ronfleur, une championne de tir à l’arc placide,
un diplômé chômeur et une petite fille énergique. La disparition de
cette dernière dans les eaux sombres de la rivière oblige les adultes à
s’unir et à se prendre en main. Personne ne les
prend aux sérieux hormis un SDF taciturne. La chasse au monstre sera
donc artisanale et bordélique, précipitée et implacable. Exit les gros
bras et les bimbos convoqués par les films fantastiques américains, The Host
bénéficie d'un supplément d'âme. Si Bong Joon-ho se moque parfois de
ses personnages – la distance ironique est presque une tradition du
cinéma coréen -, il leur voue aussi un amour véritable qui transpire à
grosses gouttes sur la pellicule.
La moindre saynète familiale touche en plein cœur et les étreintes
amènent les larmes.
Mais
quand un personnage pleure à l’écran, le fou rire n’est jamais loin.
Bong joue le contre-pied à la perfection, en désamorçant les montées
lacrymales d’une pincée de burlesque. Alors qu’une veillée mortuaire
est organisée, la
famille se retrouve devant le portrait de la petite fille disparue. Les
sanglots d’abord étouffés deviennent déchirants puis la messe se
transforme en pugilat devant une foule de photographes. L’une des
autres réussites de The Host
est, bien sûr, la créature elle-même. Tantôt pataud, tantôt d’une
vitesse
redoutable, ce calamar à pattes ne figure dans aucun bestiaire
classique et exerce un sentiment de fascination/répulsion assez
prononcé. Dommage
que Bong soit plus à l’aise dans la comédie et l’étude de caractère que
dans le
suspense. Si la première apparition de la bête est un vrai et beau
morceau de bravoure, il faudra attendre l’affrontement final pour
retrouver le grand frisson, doublé d'une émouvante pirouette.

Interview :
Primé à Saint-Sébastien et à Cognac, Memories Of Murder évoque
l’enquête sur une série de meurtres survenues à partir de 1986 dans la
campagne coréenne.
Depuis qu’il multiplie les récompenses dans les
festivals, le cinéma coréen dévoile un peu plus un pays dont la
partition reste encore symbolique d’une douloureuse page de l’histoire
de la guerre froide. Memories Of Murder qu’on pourrait
approximativement traduire par " souvenirs de meurtre " s’inspire d’un
fait divers qui a bouleversé le pays de 1986 à 1991. Dix femmes, âgées
de treize à soixante et onze ans, ont été violées et assassinées dans
un rayon de deux kilomètres. En dépit de moyens gigantesques, l’auteur
- ou les auteurs - de cette vague de meurtres inédite n’ont jamais pu
être arrêtés. C’est dans les pas des policiers chargés de l’enquête que
Bong Joon-ho nous entraîne. Le talentueux cinéaste ne se contente pas
de réaliser un polar efficace. Ce deuxième long métrage figure
également une passionnante chronique rurale de la Corée avant
l’instauration de la démocratie. C’est aussi le décryptage des méthodes
empiriques de la police et de l’arrivée poussive des outils
scientifiques dans les enquêtes. èuvre drôle et tragique, Memories Of
Murder est le somptueux film de l’arrivée de la modernité dans la
campagne coréenne. Rencontre.
Pourquoi avoir situé votre film dans cette période charnière de l’histoire du pays ?
Le titre évoque le souvenir de la
communauté coréenne dans les années quatre-vingt. C’est le souvenir du
passé et d’un échec de l’histoire de la Corée. Mais ce film parle aussi
du présent. Pour les spectateurs occidentaux, ce n’est qu’une histoire
policière mais pour les spectateurs coréens, c’est beaucoup plus
important. Les faits n’ont pas vingt ans et même si, en Corée, tout
change à une très vive allure, les gens se rappellent de ces vingt
dernières années et des souvenirs très douloureux qu’elles évoquent.
Comment aviez-vous imaginé le film ?
Par rapport au premier stade de
l’écriture, l’idée du film a beaucoup évolué. Seules ma colère et ma
tristesse n’ont pas changé. Mon évolution tient plutôt à mon regard sur
les deux policiers. Au début, je portais un regard très cynique, froid
et distant sur les deux protagonistes. C’était des gens incapables,
violents. Mais après avoir rencontré une foule de policiers pour la
préparation du film, j’ai changé d’avis. J’ai presque éprouvé de la
sympathie pour eux. Il se dégageait d’eux une certaine humanité et une
émotion.
Vous semblez avoir un goût prononcé pour l’ambivalence et le paradoxe.
Parfois, même dans les situations les
plus tragiques, je rigole dans mon for intérieur. En revanche, quand
les gens rient autour de moi, il m’arrive d’avoir des pensées assez
tristes. Je ne voulais pas délibérément mélanger certains aspects
comiques et tragiques. Ça vient de mon caractère. J’ai naturellement
suivi le cours des choses sans vouloir ajouter des ingrédients. En
Corée, il y a une expression qui désigne quatre éléments : la joie, la
colère, la tristesse et le bonheur. Ce mot désigne toutes les émotions
que ressentent les humains dans leur quotidien. C’est à cette image que
j’ai voulu faire le film. Je ne voulais pas qu’il soit ancré dans un
genre. Dans les films bien codés, on ne voit que des personnages
charismatiques et sérieux, je voulais les personnages les plus humains
possible.
En 1986, la démocratie n’avait pas encore été
instaurée en Corée. Comment un tel film aurait-il été perçu et quels
sont les tabous encore en vigueur dans le cinéma de votre pays ?
En 1986, je n’aurais pas pu faire ce
film. L’un des commissaires apparaît comme un incapable et en plus il
est violent. Je n’aurais donc pas pu le montrer. Mais à partir du
moment où la dictature militaire a disparu, les jeunes réalisateurs ont
très vite pu s’exprimer librement. Les thèmes abordés sont aussi bien
politiques qu’historiques. La seule limite reste la pornographie
hardcore mais vu la classification, j’imagine que le public serait
restreint.
Qu’en est-il de la question épineuse du rapport entre les deux Corées ou de la présence des GI sur votre territoire ?
Il n’y a pas du tout de censure ou de
pressions concernant des limites politiques. Elles n’existent plus du
tout. En revanche, il peut y avoir un problème de financement. Il faut
trouver un producteur capable de produire des éuvres sur de tels
sujets. Mais, par exemple, un documentaire sur des prisonniers de
gauche capturés pendant la guerre de Corée vient de sortir. Il offre
une vision très progressiste sur la séparation du Nord et du Sud. La
critique a été très bonne. Ce n’est pas un film très commercial mais il
a trouvé son public. C’est vrai qu’il reste des thèmes toujours
délicats à évoquer mais le problème vient davantage de restrictions
commerciales et financières que de la censure où il n’y a plus aucune
restriction.
Quelle réaction le public coréen a-t-il devant l’évocation ironique de la Corée dictatoriale ?
Depuis les années quatre-vingt-dix et
l’instauration de la démocratie, les spectateurs coréens sont très
habitués à ce genre de représentation de l’État ou de l’histoire. Bien
sûr, un film de ce genre aurait beaucoup plus choqué dans les années
soixante-dix ou quatre-vingt mais, depuis quelques années, beaucoup de
longs métrages portent un regard cynique sur cette période.
N’est-ce pas un moyen d’éviter l’évocation de problèmes plus contemporains ?
Un critique sud-coréen l’a récemment
souligné. C’est vrai que beaucoup de films d’aujourd’hui parlent des
années quatre-vingt. Je pense que ce souvenir soulage les spectateurs.
Mais le plus dangereux dans le traitement de ces sujets vient du ton
nostalgique de certains de ces films.
Votre film est aussi l’opposition classique dans le genre entre deux policiers aux méthodes divergentes ?
Le personnage du commissaire, muté de
Séoul, peut rappeler les films hollywoodiens où un policier du FBI ou
un membre de la CIA vient résoudre une affaire dans les campagnes. En
fait, ce n’est pas le cas. Je me suis vraiment inspiré de la réalité
coréenne. Dans les années quatre-vingt, lorsqu’une grosse affaire
survenait dans les campagnes, on envoyait très souvent des policiers de
Séoul pour l’enquête. C’est beaucoup moins le cas maintenant. Mais à
cette époque, il y avait vraiment une différence entre les commissaires.
Votre film évoque aussi l’arrivée d’une certaine modernité dans les campagnes.
Le film commence par des paysages ruraux
et au fur et à mesure, beaucoup d’usines apparaissent. La modernité
accompagne aussi les personnages. Les deux premiers suspects sont des
gens de la campagne. L’un est même carrément l’idiot du village. Par
contre, le troisième a un côté très urbain. Cette contradiction entre
les mondes rural et urbain est typique des années quatre-vingt. Mais,
en fait, c’est l’époque qui l’emporte sur le contraste ville campagne.
Pour faire un trackback sur ce billet : http://cinecinema.zeblog.com/trackback.php?e_id=146335